Où va la hi-fi ?

 

A l'aube de ma 45ème année de vie professionnelle, eh oui c'est en 1967 que j'incorporais Elipson, et de près de 50 années de passion pour la musique et la reproduction sonore, je jette un regard sur les années écoulées, l'évolution des techniques et surtout des finalités engendrées par les progrès de cette technique.

Je suis né entouré de parents qui n'aimaient pas la musique et nous n'avions pas de tourne-disque à la maison. J'était pourtant fasciné par cette aptitude à restituer les sons à partir d'un disque noir et chaque fois que nous allions chez ma tante qui possédait un poste de radio avec PU, je passais mon temps à mettre des disques et à rester contemplatif devant le diamant qui courait dans le sillon en restituant des sons. Il a fallut que j'attende mes 14 ans pour obtenir un électrophone "prévu stéréo" et une liste de composants électroniques et des haut-parleurs comme récompense de mon certificat d'études à la place d'un vélo. J'ai quand même eu le vélo un peu plus tard.

Je me suis donc lancé dans la construction de mon ampli à lampes de 10 Watts, sans aucune connaissance en électronique, en suivant, à la lettre les schéma proposés par Jacques Riethmuller dans son excellent livre "Pratique de la Haute-Fidélité". Lors du premier démarrage, j'ai eu droit à un sifflement car j'avais connecté la contre-réaction à l'envers. J'ai aussi construit ma première enceinte selon des plans fournis dans le livre de GA Briggs et traduit par Lafaurie "La Reproduction Sonore en Haute-Fidélité". A partir des ces éléments, j'ai fait évoluer l'ampli, sur le même chassis, selon différents schéma, dont ma première rencontre avec le montage cascode avec lequel j'ai obtenu d'excellents résultats.

J'ai aussi eu la chance d'effectuer mon service militaire dans les transmissions et plus particulièrement en formation dépannage 3ème échelon au Mont Valérien, ce qui m'a permis de travailler en électronique en Allemagne (dépannage du matériel militaire à tubes) et de fabriquer des amplis pour les officiers à partir des composants militaires de récupération.

Je travaillais alors au retour dans la physique industrielle, chez Rhône-Poulenc, et ne pensais pas encore pouvoir vivre de ma passion. L'avenir en décida autrement. Je montais de ma province à Paris pour rencontrer Joseph Léon que mon enthousiasme sans doute réussi à convaincre de m'engager au minimum syndical. Je pense avec du recul qu'il ne croyait pas alors à ma réussite.

Avec mon entrée chez Elipson je jouais alors dans la cour des grands. J'avais littéralement dévoré toute la bibliographie sur la reproduction sonore, ce qui m'avait obligé à perfectionner mon anglais (écrit) et surtout interrogé à outrance tous les maîtres de cette science que j'ai pu cotoyer. J'ai harcelé dans un premier temps Joseph Léon, mon patron, Jacques Gauglin, mon collègue ainé, ainsi que notre regretté Rémy Lafaurie qui avait traduit tous les livres de GA Briggs sur la Reproduction Sonore en Haute Fidélité. Un peu plus tard, j'ai rencontré Raymond Cooke (KEF) avec lequel, lors de ses passage à Paris à l'occasion des "Festival du Son", j'avais de longues conversations techniques un verre de whisky à la main. J'ai moins connu André Charlin, pour lequel j'éprouve un grand respect et qui pour le peu que j'ai échangé avec lui, m'a considérablement fait évoluer dans ma manière de "comprendre le son". Tout ça, c'est quand j'étais encore bébé dans cette technique qui n'était pas encore le business d'aujourd'hui.

Ma position chez Elipson et l'affection (dissimulée) que me portait Joseph Léon ont été pour moi d'un apport sans équivalent. Il ne raffolait pas de conduire, mais aimait l'automobile. Chaque fois qu'il se rendait à un rendez-vous technique, il me demandait de lui servir de chauffeur, sans doute parce que je possèdais alors des voitures qu'il aimait. Pour la petite histoire, il avait lui-même acheté un des prototypes Citroën numéroté, à moteur rotatif, qui était toujours en réparation. J'ai ainsi participé à beaucoup de réunions de travail et d'écoutes à la Maison de la Radio, avec les plus grands, ou devrais-je dire plus grande preneuse de son qu'était Madeleine Sola, dites "La Divine", ou encore José Bernhart, voir Jean Chardonnier, le directeur technique de l'ORTF de l'époque. J'en ai oublié d'autres. Dans les mêmes années se terminait le Palais des Congrès, que nous avions la charge d'équiper en enceintes, ce qui m'a permis de connaître un perfectionniste Jean Thomas, dont la brillante carrière fut interrompue par un accident de montagne.

Ces compétitions auxquelles je participais, portant le flambeau d'Elipson, étaient très édifiantes sur le comportement du son. J'appris ainsi qu'il était très aisé de tromper n'importe qui par des petites astuces. Cela m'appris aussi à écouter et à demeurer très humble dans les jugements des qualités sonore pour lesquelles il est très facile de prendre un court instant un défaut pour une qualité.

Le succès commercial d'Elipson, fit que des investisseurs s'intéressèrent à l'entreprise et que l'intégrisme de J. Léon devint encombrant pour ces derniers qui l'évincèrent en 1973. Je me retrouvais alors avec un titre de directeur dans l'entreprise à 29 ans. Elipson avait alors un rôle au SIMAVELEC (syndicat national) aux côtés de Thomson et Philips et cela faisait partie de mes responsabilités. Je participais alors à la création des normes hi-fi pour la France avec tous les membres de la commission. J'avais aussi des relations techniques avec nos fournisseurs de l'époque : Audax qui venait de supplanter Supravox et Siare qui essayait de rentrer comme fournisseur. Mes compétences électroniques m'avaient aussi beaucoup fait m'intéresser aux filtrages passifs des enceintes qui était un point faible à l'époque avec des bobines réalisées à la main, sans support.

Comme on le dit souvent, et ce qui se confirme, le succès commercial pervertit souvent une entreprise. Elipson était en train de devenir une entreprise célèbre et riche. Le marketing avait pris le pas sur la technique et le laboratoire d'une fonction de recherche était passé aux ordres du commercial qui définissait les objectifs de prix, de taille et de conception. C'est aussi à cette époque qu'Elipson a perdu le marché national de la radio-télévision. C'est encore à cette époque, que toute l'équipe technique est partie en laissant un jeune stagiaire, seul à la technique, sans aucun historique, ni plan de réalisation, se débrouiller tout seul.

Pour ma part, je créais Phonophone le 7/7/77. Ce fut une gageure. J'avais acheté des éléments de mon matériel de mesure : microphone B&K et table traçante HP et fabriqué le compresseur log. à l'aide de modules BurrBrown. J'ai mis au point trois modèles d'enceintes (G1, G2 et G3) dans mon salon, ayant transformé ma terrasse en menuiserie. Ces enceintes ont eu de suite un grand succès et elles sont encore aujourd'hui très recherchées, même et surtout hors de France.

L'aventure Phonophone dura 8 ans, avec de nombreuses innovations, souvent accaparées par des constructeurs meilleurs communicants. Les points marquants sont la création des BG et des MP, révolutionnaires à leur époque par l'utilisation hybride d'un baffle plan. Elle vu aussi l'introduction d'une ligne d'électronique à transistors, réalisée selon notre cahier des charges, puis améliorée par nos soins. L'épanouissement fut la création, à partir d'une base Philips du premier lecteur de CD français en 1984. Je ne suis pas un excellent gestionnaire et surtout trop passionné pour avoir le froid recul de considérer ma passion comme une activité purement commerciale. Suivre les modes, changer régulièrement de modèle, même sans raison technique sont des actions que j'ai de la peine à concevoir, même aujourd'hui et qui sont pour beaucoup dans mon choix de mode de distribution directe pour HI-FI Cables

A l'époque, il était très difficile d'obtenir une ligne télephonique. A la création de Phonophone, j'avais eu la chance de posséder certains appuis pour obtenir une ligne. En 1983, un important orage inonda le central Philippe Auguste. Ma ligne fut interrompue, sans aucun avertissement et surtout sans information quand à son rétablissement. La ligne sonnait pour l'appelant sans que personne ne réponde. Nous sommes restés ainsi plus de trois mois sans pouvoir être joints ni placer un répondeur. Pour éviter le dépot de bilan, nous avons été repris par une entreprise basée en Lorraine qui a cessé son activité à son tour quelques années plus tard.

J'étais resté très éprouvé par la fin de Phonophone. Ce fut Edouard Pastor et Patrick Vercher qui me proposèrent la rédaction en chef de SonMag qui faisait partie du groupe de la Revue du Son. J'ai collaboré ainsi bien-sur à SonMag, mais aussi à L'Audiophile et bien-sur à la Revue du Son avec Jean Hiraga, avec lequel nous avons le même age au jour près, mais sa partie asiatique le fait paraître plus jeune que moi. J'ai concouru un peu plus de 3 ans au succès de SonMag, replaçant la technique en bonne place avec des mesures de cellules de PU et de sensibilité de tuner dont le groupe possédait tous les instruments de mesure. C'est à cette époque que j'ai constaté le divorce entre le "son pro" des américains de la côte ouest et le son hi-fi de la vieille et de la nouvelle angleterre. Dans tous les cas on tendait vers un son caractérisé par des reproducteurs "interprètes". C'est aussi à ce moment que plusieurs vieilles marques anglaises ont été rachetées par des Coréens (Tannoy, Wharfedale, Goodmans, etc) ramenées à un centre développement unique dans une pièce de 25m2, près de Glasgow, dans laquelle trois ingénieurs mettaient au point les différentes enceintes "à la manière de", essentiellement à l'ordinateur. J'ai même du faire un article à l'époque.

J'ai ensuite fait un intermède au sein du groupe Matsushita pour le lancement des caméra S-VHS en Europe, puis pour prendre en charge la direction de la marque Technics. Je n'étais pas d'accord avec les ingénieurs concepteurs des lignes Technics, ce qui m'a amené à démissionner en 1992.

Je suis alors allé rejoindre mon ami Georges Chèrière, créateur de Diapason, pour créer une rubrique Hi-FI dans son magazine "Répertoire des Disques Compacts".

C'est enfin en 1995 que je créais "HI-FI Cables et compagnie" dans le fond de la cour du 77, avenue de la République, où je me trouve toujours, mais avec pignon sur rue.

L'histoire d'HI-FI Cables, je ne la rabacherais pas car elle est largement commentée sur notre site.

Ce trop long préambule pour justifier une certaine expérience et en arriver à certaines constatations.

Tout d'abord, encore, je tiens à exprimer certaines convictions. La musique et la lecture resteront immuables pour l'épanouissement de l'être humain pour la simple raison que ces deux divertissements contribuent à l'ouverture de l'imagination et par là même de l'esprit, au contraire de l'image. La littérature, au travers des livres, a subi certaines crises, car on l'avait donné comme finissante, remplacée par les lectures sur "tablet". Le CD, subit aussi aujourd'hui une certaine crise de par des clients partagés entre le Vinyl et le téléchargement. Pourtant, je reste persuadé que l'objet CD, arrivé à maturité, restera un enjeu de possession pour les vrais amoureux de musique.

L'enjeu du choix de la source ne supplantera toutefois pas ce qui reste le problème de la banalisation de la reproduction sonore en ce qui concerne les amplis et les enceintes.

En ce qui concerne les enceintes, la créativité n'est plus que marketing. On peut choisir à la carte haut ou bas rendement selon ses affinités. Le désign qui prétend souvent à tort tirer ses origines d'innovations techniques justifie à lui seul les prix faramineux auxquels elles sont proposées. Ces designs fulgurants, que l'on n'aurait jamais osé, justement pour des raisons techniques, il y a quelques années ont été permis par l'avancée de technologies sur les haut-parleurs et les amplificateurs. Le haut-parleur moderne possède une membrane légère et rigide et un moteur au puissant champ magnétique, qui une fois piloté par un ampli à fort amortissement, est quasiment insensible au type de charge dans lequel il est monté. Cela semble idyllique, si ce n'est que les haut-parleurs à membranes composites rigides possèdent un son propre, conséquence de leur rigidité, qui perturbe leur aptitude à fonctionner à bas niveau ou lors de signaux fortements impulsifs, suivis de silences. Cela explique peut-être une certaine nostalgie d'audiophile portée à se diriger vers de grandes réalisations du passé dans lesquelles les haut-parleurs étaient montés dans des systèmes acoustiques accordés.

Je tiens à réitérer que les qualités réclamées à une écoute domestique, c'est de pouvoir fonctionner à tous les niveaux et surtout à bas niveau sans perdre en équilibre ou en précision. C'est malheureusement une qualité difficile à percevoir dans les auditoriums de vente, généralement amortis à l'extrême. Ce sont souvent les mauvaises enceintes dont on vous fait la démonstration à fort niveau.

Je terminerais ce "coup de gueule" par deux anecdotes pour réflexion :

- Si vous avez connu les électrophones, vous souvenez vous qu'avec quelques 4W de sortie, il était insupportable de rester dans la pièce, tellement cela paraissait fort.

- Lors de salons de présentation, tel le Festival du Son, nous professionnels avions la regretable habitude d'aller nous moquer d'un de nos collègue qui fabriquait des enceintes réputées, car jouissant d'une bonne publicité, mais dont il était de notoriété pour nous qu'elles n'étaient pas très raffinées, le concepteur n'ayant pas d'oreille. Nous passions donc, chacun notre tour, pour lui dire qu'il nous semblait que l'une de ses enceintes avait un petit problème de résonance. A chaque fois, il montait le volume pour nous montrer qu'il n'en était rien, ce qui se terminait par une écoute assourdissante faisant fuir les auditeurs. Nous n'étions pas très gentils.

Je viens de faire un tour sur des forums et je suis plutôt satisfait des réactions des participants. J'aurais toutefois quelques petites remarques à faire :

- Une chaîne de reproduction sonore, bien-sur si on est à la recherche d'une écoute réaliste, est constitué d'un ensemble d'éléments qui possèdent tous leur caractère propre. L'art de l'audiophile, qu'il doit pratiquer avec modestie, est d'accepter cette considération et de concevoir que les constatations qu'il fera lors d'essais à partir de sa chaîne ne pourront pas être prises en compte pour une autre situation. Or, et je ne sais pas si cette réaction émane d'un certain sentiment d'autorité, mais la plupart des audiophiles qui communiquent sur leurs essais aboutissent à des conclusions très absolutistes, sans émettre les réserves qu'il semblerait convenir.

- On parle beaucoup des câbles, car ils sont devenus l'ultime ressource pour corriger une incompatibilité entre appareils. Ils portent maintenant généralement la responsabilité de cette incompatibilité. J'ai relevé des conclusions de participants à ces forums qui aboutissaient à des choix qui démontraient d'une manière flagrante cette incompatibilité. Ils énoncaient pourtant avec beaucoup de conviction l'universalité de leur choix, sans mettre en doute leurs autres éléments.

Comme nous n'intervenons que pour les câbles, nous essayons toujours de créer des modèles le plus neutres possible afin qu'ils ne dépassent pas leur but de révéler les simples qualités des appareils. Pour cela, nous testons toujours une configuration avec les trois mêmes câbles en série pour exagérer le caractère de chacun d'eux. En effet, dans un passé assez loingtain, il nous était arrivé de trouver un câble aux qualités géniales, qui devenait caricature, quand on câblait toute la chaîne avec ce même câble. Trop de bien peut devenir du mal. Cette manière de procéder sur toutes nos créations, nous permet d'assurer un bon équilibre d'écoute qui accompagnera votre progression lorsque vous changerez votre matériel en conservant les mêmes câbles. Cette conception d'une mise au point aboutie qui ne s'encombre pas d'artifices cosméthiques vous assurera une bonne valeur à la revente, même plusieurs années plus tard. Ce qui n'est pas le cas de toutes les marques qui sont depuis passées dans un quasi oubli : Monster-Cable, Audioquest, MIT, Van den Hul, Kimber, Nordost, Wireworld, HMS, Transparent-Cable, Siltech, etc... Pour exemple notre MAXITRANS d'origine conserve toujours une certaine valeur.

Jean-Claude Tornior